Pourquoi on en parle ?
Depuis 1996, les employeur∙e∙s doivent répondre des situations de harcèlement sexuel (HS) dans le cadre de l’activité professionnelle, considérées dans la Loi sur l’égalité (LEg) comme une discrimination (art. 4). Il existe pourtant de nombreux obstacles dans l’application de la loi et on constate que le HS n’est pas sanctionné systématiquement. Les procédures ne dissuadent pas suffisamment les personnes qui harcèlent et les victimes ne sont pas réellement protégées.
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Le HS est un comportement importun sur le lieu de travail à caractère sexuel ou fondé sur l’appartenance à un sexe, non souhaité par la personne visée et portant atteinte à sa dignité.Il blesse la personnalité et la santé mentale des employé∙e∙s et contribue à rendre le climat de travail hostile.
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Dans les faits, le HS est un acte rarement lié au désir d’obtenir des faveurs sexuelles mais plutôt un acte d’hostilité, une recherche d’emprise et de pouvoir qui peut prendre de nombreuses formes, comme :
• Des remarques scabreuses ou embarrassantes sur l’apparence physique de collègues
• Des remarques sexistes ou plaisanteries sur les caractéristiques sexuelles, le comportement sexuel ou l’orientation sexuelle de collègues
• La présentation de matériel pornographique ou l’exposition d’images érotiques
• Des invitations importunes dans un but sexuel
• Des contacts physiques non désirés
• Suivre des collègues à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise
• Des tentatives d’approches accompagnées de promesses de récompenses ou de menaces de représailles
• De l’exhibitionnisme, des agressions sexuelles, des contraintes sexuelles, des tentatives de viol -
Tous les sexes peuvent être ciblé et survenir à tous les échelons hiérarchiques mais certaines personnes sont à risque :
• Les femmes isolées dans un milieu essentiellement ou traditionnellement masculin
• Les femmes non qualifiées et dirigées par un homme
• Les femmes qui vivent un travail ou une situation précaire (immigrées sans statut légal ou avec des permis de courte durée, mères seules)
• Les personnes homosexuelles -
De nombreuses victimes se croient coupables et se font des reproches au lieu de se défendre.
• La perte du plaisir de travailler, de la méfiance vis-à-vis des collègues de travail
• Une baisse de concentration et des performances ou l’impossibilité d’utiliser ses aptitudes et ses chances professionnelles
• Un sentiment de honte et de culpabilité de ne pas avoir réussi à dire non
• Des effets sur la santé physique et psychique (maux de tête, insomnie, douleurs dorsales, maux d’estomac, perte d’appétit, dépressions, sentiments de dégoût et d’impuissance, peur, colère, etc)
• La peur de perdre sa place de travail
• La vie privée compromise, etc -
Les statistiques suisses montrent une répartition différente des auteur∙e∙s de HS selon le sexe de la victime.
Quand les femmes sont victimes :
79% par des hommes ; 15% par des groupes mixtes ; 6% par des femmes
et 60% par des collègues; 14% par la clientèle; 6% par des supérieur∙e∙s; 10% par des subordonné∙e∙s; 10% autresQuand les hommes sont victimes :
50% par des hommes ; 27% par des groupes mixtes; 23% par des femmes
Evolution historique & situation actuelle
Plusieurs lois peuvent s’appliquer en matière de HS dans le monde professionnel. Parmi elles, la Loi fédérale sur l’égalité (LEg) interdit les pratiques qui désavantagent un sexe par rapport à l’autre, mais cela exclusivement dans le monde du travail.
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La victime peut poursuivre pénalement la personne harcelante. Elle peut aussi se retourner contre l’employeur∙e qui est légalement tenu∙e de protéger le personnel contre toutes les atteintes à sa personnalité, selon l’interdiction de discriminer prévu à l’art 4 de la LEg.
Les personnes dénonçant un HS et les témoins sont protégé∙e∙s contre le licenciement pendant toute la procédure et durant six mois après la fin de la procédure.
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L’employeur∙e a une double obligation en matière de HS :
• Prévenir, en informant de son exigence pour un climat de travail sain.
• Protéger, avec des interventions en cas de suspicion de situation de HS. -
Par ailleurs, la victime de HS peut aussi déposer plainte contre l’auteur∙e si les faits relèvent notamment de l’exhibitionnisme, la pornographie, l’abus de détresse, les désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel, la contrainte sexuelle et le viol.
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Afin de faire cesser l’acte ou constater l’acte illicite, la victime de HS peut ouvrir une action auprès d’un tribunal civil. L’auteur∙e pourra alors être sommé∙e de payer des dommages-intérêts ou une somme pour la réparation du tort moral.
Pourquoi cela ne suffit pas ?
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En plus de connaître une période de vie difficile, la victime de HS doit faire face à des procédures laborieuses :
• Comme il n’y a pas de contrôle systématique de l’application de la loi, la victime doit ouvrir et porter les procédures.
• La victime doit mener une procédure à l’encontre de son entreprise, ce qui est particulièrement difficile.
• La LEg est encore peu pratiquée et il est difficile de trouver des spécialistes.
• La victime ne bénéficie pas d’un allégement du fardeau de la preuve, comme dans la plupart des discriminations. Démontrer la vraisemblance ne suffit pas, il faut apporter des preuves.
• Les procédures sont longues, épuisantes et, malgré leur gratuité, restent couteuse en frais d’avocat∙e.
• Les coûts sociaux sont importants.
• Très peu de cas obtiennent gain de cause devant la justice, décourageant les victimes à ouvrir des procédures.
• Si l’employeur∙e a correctement rempli ses obligations, il n’y a pas de suite et la victime n’obtient pas justice.De 2004 à 2019, le Tribunal fédéral a rendu 81 arrêts en lien avec la LEg dont 14 concernaient une plainte pour HS et 6 cas seulement ont été retenu comme tel.
Les décisions défavorables aux victimes sont très élevées (82.8%) quand la discrimination évoquée est le HS. -
Les victimes ne sont pas ou peu protégées lorsque le HS a lieu ailleurs qu’au travail (espace public ou privé, lieu de formation, les réseaux sociaux et d’une certaine façon dans les médias). Il n’y a pas de prise en compte uniforme du phénomène et le taux de récidive est extrêmement élevé.
Comment remédier au problème ?
L'égalité ne progresse que si la conscience sociale progresse.
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Pour faire évoluer la situation, des décisions politiques doivent être prises, comme :
• Simplifier les dispositions juridiques
• Introduire l’allégement du fardeau de la preuve aussi pour les cas de HS
• Soutenir les victimes (comme dans la loi d’aide aux victimes) : financièrement, juridiquement, psychologiquement.
• Instaurer des contrôles étatiques généralisés de l’application de la LEg avec des sanctions réelles en cas de manquement.
• Mettre des personnes de confiance neutre et formées à disposition du personnelMais aussi, un travail de changement des mentalités est à faire, notamment avec :
• Des efforts de sensibilisation et de formation systématisés afin de développer un environnement social sain.
• L’arrêt de toute normalisation ou justification des différentes formes de violences sexuelles animées par les inégalités entre les genres.
• La mise en place par les autorités de dispositifs sanctionnant les auteur∙e∙s de HS dans l’espace public en général
• Des sanctions juridiques qui montrent que le HS n’est pas toléré.
Le travail du BEF
Dans sa mission de faire respecter l’égalité entre femmes et hommes dans le droit et dans les faits, le BEF souligne combien les comportements discriminatoires portent atteinte à la dignité, à la qualité de vie, et à l’intégrité des personnes qui les subissent. Ceux-ci s’avèrent de plus être des freins puissants dans la vie professionnelle des femmes.
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En tant que spécialiste de la LEg et ses procédures, le BEF fournit des conseils juridiques aux victimes, aux employeur-e-s, aux RH et aux professionnel-le-s du droit. Le BEF dispense des formations juridiques aux cadres et aux RH du secteur privé et des administrations publiques. De plus, le BEF sensibilise les milieux professionnels, politiques et le grand public, organise des événements et diffuse des informations visant la prévention du HS.
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Le BEF participe à des actions nationales, notamment :
• Un kit de prévention du HS développé par les Bureaux de l’égalité de toute la Suisse, prioritairement à l’intention des entreprises.
• Un site internet recensant la jurisprudence, la doctrine et les procédures relatives au HS et aux autres discriminations à raison du genre.
Liens & sources
- Leg.ch - Analyse de la jurisprudence cantonale relative à la loi sur l’égalité entre femmes et hommes (2004-2015)
- Leg.ch - Analyse de la jurisprudence fédérale relative à la loi sur l’égalité entre femmes et hommes (2004-2019)
- Leg.ch - La loi fédérale sur l'égalité (LEg) devant les tribunaux, guide
- La lutte contre le harcèlement sexuel
- Kit de prévention du harcèlement sexuel au travail