Alphonse Théraulaz (1840–1921), conservateur
Alphonse Théraulaz revient en Suisse lorsque sa famille s’établit à Châtel-Saint-Denis. Il y est l’étudiant assidu de son oncle Jean-Joseph Théraulaz, curé du lieu. Il étudie ensuite au Collège Saint-Michel. Il est membre de la Société des Etudiants suisses (1859), puis vice-président (1860) et enfin président (1861–1862) de celle-ci, véritable pépinière des élites conservatrices. Il est promoteur et fondateur du Club alpin, section de Fribourg (1858). Il est le quarantième citoyen suisse et le premier Fribourgeois à gravir le Cervin. Membre assidu du Cercle de l’Union, il se constitue un réseau d’amis influents, condition sine qua non pour assurer l’ascension d’un jeune homme issu d’un milieu modeste.
Théraulaz embrasse d’abord la carrière commerciale, du fait de son entrée dans la famille Chiffelle. Il aura beaucoup de mal à se séparer totalement de ses activités privées, même lorsqu’il sera au Gouvernement. Lors du retrait de Joseph Jaquet en 1874, il envisage d’être candidat, mais il s’efface devant Menoud, qui est élu le 8 mai, mais refuse son élection. Théraulaz se présente alors et il est élu, au troisième tour, le 11 juin 1874, avec 36 voix sur 69, devançant le major Repond (33 voix). Théraulaz succède à Jaquet à l’Intérieur (1874–1880). Il se consacre à l’organisation forestière (1876), à l’amélioration du bétail par des concours et des primes ainsi qu’à une meilleure gestion des sociétés de laiterie et de fromagerie. Il se retire en 1880 pour des raisons personnelles liées à la gestion de ses affaires textiles et à son premier veuvage.
Il est réélu en 1881, se plaçant devant Techtermann qui, ulcéré, démissionne. Il gère la Direction des Travaux publics (1881–1894), où il fait passer la loi sur la police des eaux dans les régions élevées (1885) et celle sur les travaux d’endiguement (1889). Il est le seul membre du Gouvernement à s’abstenir, le 22 septembre 1889, lors du vote sur l’organisation provisoire de l’Université de Fribourg en invoquant des craintes financières. Théraulaz fait passer la subvention cantonale de deux millions de francs au percement du Simplon (1887) et celles pour les voies ferrées Vevey–Bulle–Thoune et Fribourg–Morat (1891). C’est la période où Théraulaz est le plus influent, dominant avec Menoud le Conseil d’Etat dont le duo se partage les présidences. Théraulaz préside en 1883, 1885, 1888, 1890, puis, dans un autre contexte, en 1898, 1905 et 1907. Il est responsable du choix des vitraux dans la salle du Grand Conseil : si Berthold IV et Faucigny ne sont pas contestés, il choisit de remplacer saint Nicolas de Flue et son homonyme de Myre par Louis d’Affry et Louis Weck-Reynold.
Son étoile pâlit avec le départ de Menoud vers la Banque de l’Etat et l’ascension de Python. Théraulaz passe aux Finances où, ironie du sort, il doit assumer l’endettement dû aux projets d’infrastructures ferroviaires, scolaires et hydroélectriques du régime, voulu par son concurrent Georges Python. Théraulaz doit donc faire passer les emprunts de 1895, 1899, 1902, 1903 et 1907 qui font bondir la dette de l’Etat de 28 à plus de 100 millions de francs. Il fournit donc à l’Etat les moyens de ses ambitions de modernisation au prix de lourdes charges : le service de la dette devient le premier poste des dépenses étatiques. Il met sous toit la loi sur la Banque cantonale (1895) et la loi sur la Caisse hypothécaire (1907).
Théraulaz est député au Grand Conseil (1875–1914). Il est conseiller aux Etats de 1882 à 1883, présidant cette Chambre en 1883. Il passe ensuite au Conseil national, où il siège de 1884 à 1914. Sa carrière militaire le mène au rang de capitaine quartier-maître.
Théraulaz est un conservateur modéré à ses débuts, mais dès son accession au Gouvernement, il prend ses distances avec le Cercle de l’Union, se tenant au-dessus des factions du parti dominant. Il est plutôt porté à la conciliation et il ne pratique pas, dans son département, le système des « dégommages » utilisé par les conservateurs après leur victoire électorale de 1881. Il reprend même à son ancien poste de commissaire général son ex-collègue Modeste Bise, non réélu en 1881, pour cause de modération politique. Les fonctions politiques de Théraulaz l’amènent à occuper de nombreux postes dans le secteur paraétatique. Il est membre du Conseil d’administration de la Caisse d’amortissement de la dette publique (1881–1911), de la Caisse hypothécaire du canton de Fribourg (1885–1912), de la Banque nationale suisse (1906–1913), des chemins de fer de la Suisse Occidentale (1883–1889) et du Jura–Simplon (1890–1902), ainsi que des Salines du Rhin (1909–1912). Il est promoteur du Village suisse de l’Exposition universelle de Paris (1900). Il occupe des fonctions importantes à la Banque de l’Etat au moment où se préparent les scandales qui vont éclabousser le régime conservateur : il en est le président du Conseil d’administration. Lucide sur la mauvaise gestion de cet établissement, il préfère, à plus de 70 ans, ne pas se représenter au Conseil d’Etat en décembre 1911, laissant Georges Python assumer ce que son audace créatrice a engendré. Théraulaz se retire de tous ses autres mandats en 1914. Il retourne dans la vie privée et il s’éteint, le 1er février 1921, à l’âge de 81 ans, à Fribourg.
Extrait de : "Le Conseil d’Etat fribourgeois : 1848-2011"